Le Centre international et multidisciplinaire d’études épiques, le CIMEEP, créé à l’Universidade Federal de Sergipe (Brésil) en 2013, a pour but de réunir des chercheurs de différentes nationalités et de différents domaines qui s’intéressent à la production épique dans ses divers sous-genres et ses différentes manifestations (orales, écrites ou hybrides). L’article décrit les conditions de sa création, sa structure initiale, les bases théoriques de sa fondation, les caractéristiques des groupes de travail qui le composent ainsi que ses axes de recherche actuels, qui incluent une cartographie de la production épique mondiale.
Title : “The Centro Internacional e Multidisciplinar de Estudos Épicos (CIMEEP) : a presentation”
Presentation of the Centro Internacional e Multidisciplinar de Estudos Épicos, the CIMEEP, created at the Universidade Federal de Sergipe, Brazil, in 2013, with the main objective of bringing together researchers from different nationalities and different areas of knowledge, whose center of interest are epic production in its various manifestations (oral, written, hybrid), and epic subgenres. This article will describe the motivations for its creation, the initial structuring, the theoretical basis of its foundation, the characterization of its Researchers Groups and the current directions of CIMEEP, including the “mapping-project” of the world epic production.
Resumo
Apresentação do Centro Internacional e Multidisciplinar de Estudos Épicos, o CIMEEP, criado na Universidade Federal de Sergipe, Brasil, em 2013, com o objetivo principal de reunir pesquisadores de diferentes nacionalidades e de diversas áreas do conhecimento, em cujo centro de interesse estivesse a produção épica em suas diversas manifestações (oral, escrita, híbrida) e subgêneros. Considerações sobre as motivações para sua criação, a estruturação inicial, as bases teóricas presentes em sua fundação, a caracterização de seus Grupos de Trabalho e os rumos atuais do CIMEEP, incluindo o mapeamento da produção épica mundial.
Le Centre International et Multidisciplinaire d’Études Épiques (CIMEEP, Centro Internacional e Multidisciplinar de Estudos Épicos) est rattaché, depuis son origine, à l’Université Fédérale de Sergipe1, institution publique d’enseignement supérieur située dans le plus petit état brésilien, au nord-est du pays. Il est né d’un projet ambitieux : réunir, sous forme de centre de recherche international, les chercheur.e.s de différentes nationalités et domaines de recherche dont le centre d’intérêt commun serait l’epos. Au sens large, on définit ici epos comme le processus continu et ininterrompu de transmission orale ou écrite d’un répertoire qui mêle imaginaire, histoire et mythe, intégrant une identité socioculturelle ainsi que les formes épiques hybrides de la littérature épique et le résultat des réécritures et recomposition de ce répertoire.
L’idée de créer le CIMEEP tire son origine d’une observation, elle-même fruit de mon engagement dans les études épiques depuis 1996 : celle du peu de circulation intercontinentale des savoirs spécifiquement consacrés aux différentes conceptions de ce que peut être, à l’époque contemporaine, la littérature épique. Décrété genre mort à partir du XVIIIe siècle par la quasi-totalité de la critique littéraire – qui se fondait sur les travaux, notamment, de Lukács et Bakhtin2 –, le texte épique, travesti sous différents habits, continuait pourtant de circuler de par le monde et méritait assurément d’être considéré sous l’angle théorique et critique. Mais ces savoirs spécialisés peinaient à entrer en contact – du moins à l’échelle d’un pays de taille continentale comme le Brésil – et se limitaient à affirmer la survivance du genre épique à partir de corpus isolés, comme l’épopée médiévale, l’oralité épique ou les formes épiques modernes, sans parvenir à faire émerger un véritable panorama de la production épique mondiale. Personne ne relevait, non plus, l’importance d’une cartographie des dérivations de l’épopée au fil des époques, qui tienne compte en particulier de la contre-culture que l’épopée en est venue à constituer à partir de l’avènement de la globalisation et la fragilisation des identités culturelles imposées par un système politico-économique qui, paradoxalement, dévalorise les différences en les présentant comme minoritaires. En effet, à l’ère de la multiplication des minorités, la domination culturelle par le système financier ne concède que de petits espaces à ces minorités, qui se fragilisent en tant que système de dimension planétaire. Ainsi, créer une synergie pour faire connaître la production épique à l’échelle mondiale, sans chercher à minimiser les différences à l’heure de porter un jugement critique et esthétique, offrait une voie pour résister à l’imposition d’espaces restreints de réflexion sur la condition humaine et existentielle. Cela nous paraissait une démarche essentielle pour un genre qui a évolué de la valorisation des structures hiérarchiques du pouvoir à la représentation de sujets subalternes, capables d’affronter (de “répondre” à) leur caractérisation imposée.
Ainsi, mes travaux semblaient montrer que l’épopée, à partir du XXe siècle, et indépendamment de sa matérialité orale ou écrite, s’est constituée comme un phénomène fondamental de résistance à la mise sous tutelle de la culture par le néo-libéralisme. Il était alors nécessaire d’ouvrir des voies de dialogue autour de ce phénomène et de revisiter la critique et la théorie épiques sur les littératures orientales et occidentales en travaillant sur une vaste chronologie. Reconnaître, cartographier et divulguer des travaux spécifiques sur l’épopée, en respectant les différences théoriques caractéristiques entre ces études était fondamental pour justifier de la permanence de l’épopée et des multiples sous-genres qu’elle englobe.
Ce dialogue s’engagea en 2012 à l’Université de Clermont-Ferrand (alors Université Blaise-Pascal, aujourd’hui Université Clermont-Auvergne), lors d’une réunion avec Saulo Neiva, où je pus poser le premier jalon de cette convergence théorique et critique autour de l’épopée. L’enthousiasme et l’appui indispensable de Saulo Neiva permirent, en retour, de dessiner les fondements de ce qui deviendrait bientôt le CIMEEP.
C’est donc avec la participation fondamentale de Saulo Neiva et de collègues enseignants-chercheurs de l’Université Fédérale de Sergipe que s’engagea en 2013 le contact avec ceux et celles qui, adhérant à la proposition, devinrent les membres fondateurs du CIMEEP : Abdoulaye Keita (IFAN/UCAD, Dakar, Senegal), Amade Faye (FLSH, UCAD, Institut Fondamental de Littératures et Civilisations Africaines, IFAN, Dakar, Senegal), Anazildo Vasconcelos da Silva (UFRJ, Brasil), Ana Maria Cardoso Leal Cardoso, (UFS, Brasil), Anna Beatriz da Silveira Paula (UFPR, Brasil), Assia Mohssine (alors Université Blaise-Pascal, aujourd’hui Université Clermont-Auvergne, France), Bassirou Dieng (Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Senegal), Carlinda Nuñez Fragale (UERJ, Brasil), Charlotte Krauss (alors à Universidade de Freiburg, Alemagne), Cheick Sakho (Faculté des Lettres de l’UCAD, Senegal), Cícero Cunha Bezerra (UFS, Brasil), Claudine Le Blanc (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, France), Dante Barrientos Tecún (Université d’Aix-Marseille, France), Delphine Rumeau (Université Toulouse 2, France), Florence Goyet (Université Grenoble III, France), Inocência Mata (Universidade de Lisboa, Portugal), José Augusto Cardoso Bernardes, (Universidade de Coimbra, Portugal), José Pedro Serra (Universidade de Lisboa, Portugal), Lilyan Kesteloot (IFAN/UCAD, Dakar, Senegal), Márcia Regina Curado Mariano (UFS, Brasil), Marcos Martinho, USP, Brasil), Margaret Anne Clarke (University of Portsmouth, Inglaterra), Murilo Costa Ferreira (UNEB, Brasil), Nelson Charest (Université d’Ottawa, Canadá), Urs Urban (alors rattaché à l’Université de Strasbourg, France, désormais professeur à l’Universidad de Buenos Aires, Argentine), Vanda Anastácio, (Universidade de Lisboa, Portugal).
Après avoir élaboré la structure du centre au sein du Projet de Création du CIMEEP, nous avons engagé les démarches bureaucratiques nécessaires à sa création, démarches d’autant plus lourdes qu’à cette époque aucun centre de recherche de cette envergure internationale n’existait à l’Université Fédérale de Sergipe. Une fois franchies toutes les étapes d’évaluation du projet, le Recteur de l’Université publia, le 25 mars 2015, la Portaria 0569 qui officialisait le CIMEEP, pourtant actif dès 2013 et qui avait déjà accueilli de nouveaux membres sous les statuts de membres-chercheurs et membres-temporaires3. En plus des 28 membres fondateurs du CIMEEP, le centre compte, en juin 2018, 48 membres chercheurs et 19 membres temporaires.
Si on veut présenter l’histoire récente du CIMEEP, on peut noter qu’ont été déjà largement atteints les objectifs suivants :
1. Développer, à l’UFS, et plus largement dans l’université brésilienne et à l’international, les études théoriques sur le genre épique ;
2. Favoriser, au sein de l’UFS, les échanges scientifiques, promouvoir les travaux pluridisciplinaires et ouvrir des collaborations avec les centres et les départements porteurs d’autres projets ;
3. Faciliter l’accès des chercheurs à la bibliographie sur l’épopée, qu’il s’agisse de textes littéraires, théoriques ou critiques ;
4. Divulguer des travaux variés sur l’épopée à travers la revue scientifique électronique du CIMEEP, Revista Épicas ;
5. Divulguer ces mêmes travaux sur le site internet du CIMEEP ;
6. Promouvoir les rencontres, forums, colloques, séminaires et congrès autour de thématiques portées par les groupes de travail (GT) du CIMEEP ;
7. Associer des étudiants de licence et de master à des actions enrichissantes pour la connaissance de la production épique en générale
8. Ouvrir un champ pour des réflexions épiques innovantes et nécessaires, par exemple sur la culture populaire, l’expression des minorités, les littératures nationales qui n’intègrent pas, ou difficilement, le canon occidental encore largement dominant à l’heure actuel et sont, de ce fait, marginalisées ;
9. Encourager les échanges entre les chercheurs et chercheuses du CIMEEP, en impliquant des universités brésiliennes et étrangères, par exemple en tant que professeur.e invité.e, ou pour la participation à des événements académiques débouchant sur des séjours de recherche de moyenne durée.
10. Chercher des financements pour composer le fonds bibliographique de référence alimenté par le CIMEEP et mis à disposition publique de tous les chercheurs ;
11. Organiser la publication de livres alimentant ce fonds bibliographique ;
12. Valoriser les productions épiques locales, régionales, nationales et continentales auxquelles le CIMEEP aura peu à peu accès en en faisant l’étude critique ;
13. Devenir un canal pour la réalisation de projets politiques d’enseignement et de recherche autour de la valorisation de l’égalité et de la justice sociale.
Dans le même temps, le CIMEEP a développé sa collaboration avec le Réseau Euro-Africain de Recherches sur les Épopées, le REARE, fondé en novembre 2000 et dont je fais partie depuis 2016 : une collaboration fructueuse, puisque les membres du REARE qui se sont engagés dans le Projet de Création du CIMEEP ont accéléré la reconnaissance mutuelle des travaux entre chercheur.e.s européen.ne.s, africain.e.s, sud-américain.e.s et nord-américain.e.s.
Une question surgit alors, qui mérite d’être abordée dans cet article : pourquoi avoir situé le CIMEEP au Brésil (et pourquoi, plus spécifiquement, dans le nord-est brésilien) ? Je montrerai ici que le Brésil dispose à la fois d’un corpus épique singulier (I.) et d’un bagage théorique particulier pour y répondre (II.), qui justifient d’y faire prospérer de nouveaux points de vue critiques.
Pour mieux faire comprendre que le Brésil ait constitué le point de départ de la réflexion du CIMEEP, on peut revenir sur certains aspects de la production épique brésilienne.
La littérature brésilienne tire ses racines de la tradition littéraire luso-européenne, forgée au fil des siècles en Occident et introduite au Brésil aux XVIe et XVIIe siècles, par les couches lettrées de la population locale. Cette frange de la population forgeait de nouvelles formes artistiques, définissait une manière d’être et d’habiter le monde civilisé, embrassait la Renaissance et le Baroque et posait la question du rapport entre l’homme et le monde à partir de l’expérience héritée du Moyen-Âge et de la Renaissance.
Du coup, au XVIIe siècle, l’intégration de la tradition épique dans la littérature brésilienne fut très largement déterminée par les conditions socio-culturelles de la réalité coloniale, qui poussait les couches intellectuelles à élaborer une littérature certes locale, mais qui puisse être reconnue en métropole. Pour créer cette expression littéraire propre, il fallait construire un récit littéraire de la fondation historique de ces territoires, et ainsi doter la tradition culturelle américaine d’une identité héroïque originale. Rien d’étonnant, donc, à voir utiliser l’épopée, genre qui préserve la mémoire ancestrale des narrations mythiques de la tradition orale et a amplement démontré, au cours de l’histoire littéraire, son aptitude à célébrer et perpétuer l’identité héroïque d’un peuple à travers le récit des exploits de ses héros4.
Peu importait, en ce sens, que cet héritage exhumé et constitué en mémoire collective s’ancrât dans les textes légués par le colonisateur portugais ; ou qu’à travers l’image héroïque de l’indien brésilien transparaisse le concept rousseauiste du “bon sauvage”, incompatible avec le génocide indigène qui eut lieu au Brésil au XVIe siècle. L’émergence de l’affirmation identitaire, surgie avec l’indépendance de 1822, conduisit pourtant les intellectuels brésiliens à chercher d’autres sources pour relire leur propre histoire.
Pour le Brésil, comme pour d’autres nations qui furent des colonies à une époque de leur histoire, ce processus de récupération épique n’a donc rien d’un héritage de la tradition orale locale, puisque la culture indigène brésilienne n’incluait pas d’oralité épique5. La tradition épique brésilienne naquit donc sous le signe de la création littéraire et selon les codes de la tradition importée d’Europe, en particulier de la tradition camonienne. Et pourtant, en dépit des indéniables réverbérations de l’épopée européenne sur le sol brésilien, cet héritage fut largement transformé au contact de pratiques culturelles indigènes, irréductibles à la culture importée, porteuses d’une identité propre, façonnée par l’esclavage et la présence croissante de la culture africaine au cours de la formation du Brésil comme nation indépendante.
Ainsi, les épopées brésiliennes du XVIIIe siècle mélangent-elles fusionner dans la matière épique les symboles et les mythes indigènes avec les événements de la colonisation ; elles construisent un récit littéraire de l’histoire du Brésil colonial, dotant ainsi sa littérature d’une mémoire héroïque native qui perpétue les exploits de ses héros à la recherche d’une identité nationale. La prédominance de l’indigène comme personnage épique en découle, et de là les bases de la perspective indigéniste romantique.
À l’exception du De gestis Mem de Saa (1563) du jésuite José de Anchieta – première épopée littéraire produite au Brésil, antérieure à Os Lusíadas du portugais Luís de Camões, l’épopée brésilienne est écrite sous l’influence de Camões en ce qui concerne le traitement des modèles classiques. Cette influence se mesure, par exemple, dans l’usage de l’hendécasyllabe à partir de Bento Texeira (auteur de la courte épopée intitulée Prosopopeia en 1601), alors qu’Anchieta avait utilisé l’hexamètre héroïque latin.
Le cas brésilien présente donc des spécificités propres tout en reflétant la situation des ex-colonies qui ne disposaient pas d’un patrimoine épique oral, dont la population indigène a été décimée par le processus de colonisation, voire (c’est le cas au Cap Vert) dont la population ne s’est formée qu’à partir de la présence coloniale.
Plusieurs études, déjà diffusées aux niveaux national et international, démontrent l’inscription singulière du Brésil dans la culture mondiale pour ce qui a trait à l’épopée, en particulier à l’épopée contemporaine, particulièrement abondante. Mais il faut d’abord rappeler le jugement de Bowra sur l’épopée camonienne : “C’est par un Portugais que fut écrit le premier poème épique qui, par sa grandeur et son caractère universel, parle au nom du monde moderne6”. Et plus loin : “Sa conception de l’homme est plus complète et plus variée que celle de Virgile. Il conserve quelque chose du plaisir caractéristique d’Homère dans la variété des scènes humaines et, comme le poète grec, sait qu’il peut exister plus d’une espèce de noblesse humaine7”. À l’intérieur de la tradition lusophone si bien mise en valeur par Bowra, il est nécessaire désormais de faire une place au corpus des longs poèmes brésiliens. Celui-ci est si vaste et stimulant, il démontre une telle vitalité créatrice à partir d’une tradition littéraire si conservatrice en apparence, qu’il oblige à voir que l’épopée brésilienne, à contrecourant de la dilution des frontières sous l’effet de la globalisation, forme un cadre culturel que la critique littéraire, historique, philosophique, sociologique et artistique ne peut ignorer. Elle est en effet une forme légitime pour signaler de nouveaux registres culturels à une époque où la fragilité des identités est une réalité que l’on constate dans de multiples secteurs. Le même impact culturel existe dans d’autres traditions épiques nationales : les œuvres modernes et post-modernes de Derek Walcott (Omeros, Caraïbes), Corsino Fortes (A cabeça calva de Deus, Cap Vert), ou la production épique si éloquente du chilien Pablo Neruda suffisent à le montrer. Les noms de Marcus Accioly, Carlos Nejar, Adriano Espínola, Stella Leonardos, Leda Miranda Hühne, Neide Archanjo, pour n’en citer que quelques-uns, démontrent l’intérêt réel que les longs poèmes à caractère épique ont éveillé chez les auteur.e.s brésilien.ne.s, principalement à partir du XXe siècle. Les études pionnières sur leurs textes sont celles des membres du CIMEEP : Anazildo Vasconcelos da Silva (Formação épica da literatura brasileira, 1987), Saulo Neiva (Avatares da epopeia brasileira do fim do século XX, 2008), ou moi-même (Christina Ramalho, Elas escrevem o épico, 2005 ; e Poemas épicos : estratégias de leitura, 2013). C’est de là qu’est partie l’idée d’un centre d’études épiques qui confronterait les points de vue de chercheurs brésiliens conscients de ces spécificités à ceux de chercheurs d’autres domaines.
D’autre part, en ce qui concerne la seconde justification que nous souhaitons apporter au sujet de la localisation géographique du CIMEEP, rappelons que le nord-est du Brésil est le plus souvent réduit à une vaste production populaire désignée comme la “littérature” ou les “fascicules de cordel”. Cette production, qui vient de l’oralité et circule sous la forme imprimée de brochures bon marché, accessibles à un large public, demeure, en dépit de travaux récents8, peu étudiée en ce qui concerne le caractère épique d’une bonne partie du corpus (qui présente aussi un versant comique très représentatif). On peut cependant lier cette littérature de cordel au genre épique, dans la mesure où une part importante de ces textes relate des faits historiques ou des mythes populaires, comme par exemple la figure du bandit nomade (cangaceiro) Lampião, qui draine un important répertoire de récits oraux. Le lien avec l’oralité, qui fournit le répertoire des histoires contées dans la littérature de cordel, permet de faire le lien entre cette forme littéraire et le genre épique, associé depuis le XIXe siècle à une composition orale qui préexiste à l’écrit. Pour autant, la littérautre de cordel n’entre pas dans les catégories classiques de la critique. On va voir que c’est l’autre élément qui nous a menés – nous, chercheurs brésiliens – à tâcher de renouveler cette critique à partir de notre expérience d’une matière épique différente.
J’aborderai dans cette section quelques-uns des jalons théoriques qui sont à l’origine du CIMEEP, sans oublier pourtant que les apports postérieurs de chercheurs tels Lilyan Kesteloot, Bassirou Dieng, Florence Goyet, Charlotte Krauss, Claudine Le Blanc ou encore Delphine Rumeau, ont ensuite permis d’élargir nos perspectives. Staiger, Bowra, Keller, par les problématiques qu’ils ont posées, nous ont menés à réexaminer le problème générique sur de nouvelles bases.
Le geste par lequel les études littéraires occidentales théorisèrent le genre épique à l’aune des théories d’Aristote, plus tard relayées par Horace, est à l’origine d’une incompatibilité entre les épopées orientales et occidentales, entre les épopées fondées sur le modèle homérique et celles qui, s’étant développée par de toutes autres voies, semblent ainsi exclues du genre épique. C’est le problème même que les travaux du CIMEEP cherche à dépasser. On nous pardonnera de rappeler quelques éléments bien connus de l’histoire de la critique épique, pour mieux faire apparaître la spécificité de nos travaux.
L’Iliade et l’Odyssée sont bien au fondement de la théorie aristotélicienne9, et la présence homérique a marqué toute l’histoire de la critique sur l’epos. Cette prégnance d’Homère est à l’origine en particulier de deux traits fondamentaux : la sentence de mort de l’épopée (fréquemment décrétée en Occident depuis l’Antiquité), et l’attribution au genre de valeurs anachroniques, que l’épopée s’attacherait à véhiculer en même temps qu’un “esprit épique”. On s’arrêtera ici sur une série de critiques du XXe siècle qui ont jeté les bases d’une autre approche de l’épique, à travers leur intérêt pour les concepts – plus proches de la démarche du CIMEEP – d’histoire, de mythe, d’héroïsme et d’identité culturelle, intimement liés au genre épique. Emile Staiger, Cecile Bowra et Lynn Keller – cette dernière, en s’intéressant aux longs poèmes produits aux États-Unis par des femmes dans les années 60 et 70, dégage des traits épiques qui la rattachent à la réflexion sur le genre – ont donné à des tentatives comme la nôtre la possibilité même d’exister. Mais c’est un point de départ : ces contributions, si significatives soient-elles, se révèlent toutefois insuffisantes pour rendre compte du renouveau du genre épique à l’époque contemporaine. Le refus de la matière contemporains (Staiger), la proclamation de la nécessité de l’oralité (Bowra), la présence forte d’auteures épiques féminines (Keller) devaient être confrontés aux textes brésiliens.
Emil Staiger fait d’Homère “le seul poète chez qui l’essence de l’épique demeure pure”10 ; le “père de l’Histoire épique” et sa fin, puisque tous les poèmes postérieurs sont tenus pour de simples imitations de son œuvre11. Pour rendre compte des tentatives épiques suivantes, Staiger propose alors une lecture des “style lyrique”, “style épique” et “style dramatique” au prisme des théories aristotéliciennes (Grundbegriffe der Poetik [Concepts fondamentaux de poétique], 1946). Mais certains de ses critères, fondés sur la seule lecture d’Aristote, se révèlent insuffisants. Ainsi, l’uniformité métrique ne saurait s’ajuster aux évolutions du corpus épique dans la seconde moitié du XXe siècle. Il en va de même pour ce que Staiger nomme l’“esprit inaltérable du poète” : Homère “s’élève du torrent de l’existence et s’y tient ferme, immuable face aux choses”12. On peut attribuer cette posture homérique à la distance historique qui sépare l’instance d’énonciation des faits rapportés, distance dont Staiger fait l’une des caractéristiques de l’épopée. De là vient l’idée que les auteur.e.s d’épopées ne sauraient se référer à des événements contemporains13. Les textes contemporains sur lesquels nous avons été amenés à travailler en tant que chercheurs brésiliens des années 2000, obligent à dépasser cette vision (et nous rencontrons Dante et sa Divine Comédie pour nous conforter dans notre conception). Si la poésie homérique, pour Staiger, est synonyme du genre épique, on comprend bien que sa proposition théorique ne suffit pas à rendre compte de productions qui tirent leur identité épique d’autres influences esthétiques, conceptuelles et littéraires.
Cécil Maurice Bowra fut un autre théoricien d’importance. Dans son ouvrage Heroic poetry (1952), il manifeste son intérêt pour la poésie épique ou héroïque à partir de l’oralité et aborde des thèmes comme la présence du héros dans la poésie épique, les dimensions historique et merveilleuse, et même la structure formelle des épopées. Pourtant, parce qu’il fait de l’oralité le trait définitoire de la poésie épique, Bowra ne peut que conclure au “déclin de la poésie héroïque”, et lui donner pour héritier le romance. On ne saurait nier l’importance de l’oralité dans la réflexion sur les transformations du genre épique. Pourtant, condamner comme “anti-épiques” les cultures qui ne disposent pas de tradition orale (comme c’est le cas pour le Brésil), c’est ignorer que la matière épique, fusion de l’histoire et du mythe, est présente dans toutes les cultures et dans chacune, qu’elle se manifeste oralement ou à l’écrit. Et le poète qui compose une épopée littéraire s’empare nécessairement de cet matière épique issue de l’imaginaire culturel dans lequel il évolue. Ainsi, de même qu’il existe plusieurs types d’oralité épique, il existe des écritures épiques qui ne dérivent pas d’une oralité préalable.
Bowra propose cependant un certain nombre de paramètres qui nous ont été fort utiles pour affiner la compréhension de l’épique, en distinguant “chant homérique” et “chant virgilien”. Au premier, Bowra associe le mouvement ascendant du vers, qui n’hésite pas à abandonner les détails qui pourraient troubler l’attention de l’auditeur (c’est un trait d’oralité) ; chez le second, il relève un travail conscient qui vise à charger le vers du plus de sens possible (c’est un trait d’écriture). Ce sont là deux aspects féconds pour l’étude des héritiers des deux poètes grec et latin dans la tradition occidentale, et même, bien au-delà, des textes épiques variés sur lesquels nous avons eu à raisonner. La distinction ainsi établie entre “poésie épique spontanée” et “poésie épique littéraire” est cruciale, par exemple pour comprendre pourquoi une large part de la critique défend l’idée que toute poésie épique authentique s’appuie sur une oralité préalable :
As condições de improvisação e de recitação criaram uma espécie de poesia que pode reconhecer-se pelo emprego de repetições e fórmulas, poesia que se encontra muito longe da de Virgílio ou de Milton. Se estes às vezes mostram rastos dela é por seguirem Homero, na convicção consciente de o deverem fazer, e não porque suas condições os obrigassem a servir-se de processos indispensáveis à poesia oral e que dela fazem o que ela é14.
Dans Forms of expansion. Recent long poemas by women (1997), Lynn Keller apporte une contribution fondamentale en mettant en lumière la présence des femmes comme auteures épiques. Elle remarque que les auteures nord-américaines se sont ainsi emparées des longs poèmes présentant une unité thématique. Bien que Keller ne s’engage pas dans une réflexion théorique sur l’épopée, elle propose des catégories critiques pour l’étude de ce corpus. L’une d’entre elles, le “poème héroïque”, embrasse des productions évidemment liées à la poésie épique de facture aristotélicienne : “The epic-based poems are comprehensive in scope ; they focus on an individual’s quest, enacted often through educative confrontations with a series of obstacles, which has broad cultural implications”15. L’autre contribution marquante de Keller consiste en la synthèse qu’elle propose, dans son introduction, de la critique américaine sur l’épopée. Keller fait d’abord apparaître que la production de poèmes longs est devenue, au cours des trois dernières décennies du XXe siècle, un phénomène de grande ampleur dans la littérature américaine, non seulement chez les auteures femmes, mais aussi chez les hommes. Bien sûr, cette présence significative a alimenté les réflexions sur le genre épique. Dans ce contexte, Keller reprend les propositions formulées par les chercheuses Susan Stanford Friedman e Smaro Kamboureli, et les chercheurs Roy Harvey Pearce, James E. Miller, Michael André Bernstein, Thomas Gardner, Charles Altieri e Peter Baker.
C’est à partir de ces travaux fondamentaux que ceux des chercheurs du CIMEEP ont pu s’élaborer, et chercher à dépasser la perspective européo-centrée qui faisait d’Homère l’alpha et l’oméga de l’épopée, pour qui l’oralité était une nécessité absolue, et qui n’imaginait pas d’auteures épiques féminines – tous traits que la littérature brésilienne oblige à reconsidérer radicalement. C’est sans doute parce que le Brésil présente une si riche production épique "hors cadre" — dont les traditions critiques ne pouvaient rendre compte – que les chercheurs brésiliens ont été aux avant-postes de ce renouveau. Silva, Neiva et moi-même avons senti le besoin de remettre en cause la vulgate critique sur l’épopée. Nous avons eu le plaisir d’être rejoints ensuite à l’intérieur du CIMEEP par des chercheur.e.s de toutes nationalités.
L’article du sémiologue brésilien Anazildo Vasconcelos da Silva, “Sémiotique épique du discours”, a contribué à placer le Brésil au centre de la recherche menée par le CIMEEP. Dès les années 1980, Silva avait en effet proposé une théorie du genre épique qui en souligne la permanence et étudie les transformations du phénomène épique à travers un corpus brésilien et international16. Il s’agit là d’un puissant instrument pour identifier et analyser les épopées, surtout celles de l’époque moderne et post-moderne dans lesquelles les transformations de la forme classique sont les plus visibles. Dans sa proposition théorique, Silva expose les catégories définitoires des manifestations épiques du discours : la présence d’une matière épique, composée d’une dimension réelle et d’une autre mythique, représentées, respectivement, au plan historique et merveilleux du poème ; les allusions à une figure héroïque ou à des actions héroïques ; et la présence d’une double instance d’énonciation, narrative et lyrique. La première est la plus importante aux origines du genre, dans la mesure où l’épopée homérique en portait la trace manifeste – événement, personnages, espace. La seconde se limite à la conscience lyrique du poète épique, indépendamment des marqueurs poétiques comme le vers ou la rime. Les transformations du genre épique à partir du XXe siècle tendirent à amplifier le protagonisme de cette instance lyrique, fréquemment utilisée pour fondre avec originalité le mythe et l’histoire.
Saulo Neiva avait d’abord mis en lumière, dans deux livres importants (Déclin et confins de l’épopée au XIXe siècle et Désirs & débris d’épopée au XXe siècle17), les contradictions entre la théorie – qui proclame la mort de l’épopée à partir de Hegel – et la pratique – qui voit naître une série impressionnante d’œuvres épiques au XIXe et au XXe siècle. Dans Avatares da epopeia na poesia brasileira do final do século XX (2009)18, il discute un point crucial de la définition du genre épique : “un nombre incalculable de longs poèmes narratifs, composés dans différentes langues entre le XXe et le XXIe siècle, montrent des liens directs et intentionnels avec la tradition épique occidentale”19. En reconnaissant la puissance de ces manifestations épiques, il démontre l’écart irréductible qui sépare la réception théorique et critique de l’épopée des manifestations effectives du genre. Il cite et revendique ainsi une série d’auteurs épiques :
Sans aucune intention d’établir une liste complète des auteurs de ces poèmes, citons le suisse Carl Spitteler, l’italien Gabriele d’Annunzio, le portugais Fernando Pessoa, le grec Niko Kazantzaki, le turc Nâzim Hikmet, les français Saint-John Perse et Édouard Glissant, les nord-américains Ezra Pound et William Carlos Williams, le chilien Pablo Neruda, le cap-verdien Corsino Fortes, l’antillais Derek Walcott20
Les questions posées par Neiva pour orienter son essai doivent guider de futures recherches sur les études épiques :
Quel sens donner à l’aspiration épique du XXe siècle, époque où la poésie, placée sous le signe de la “tradition de la modernité”, pour reprendre une expression chère à Antoine Compagnon, repose sur la “superstition du neuf”, la “religion du futur” et la “passion de la négation” ? Quel impact peut avoir l’actualisation de cette tradition, entre “la tuba canora e belicosa” de la tradition épique et le principe verlainien de contestation de la grandiloquence en matière de poésie, qui oriente une bonne part de la littérature occidentale depuis la fin du XIXe siècle ? Comment ces poètes ont-ils adapté l’écriture épique aux fondements d’une poétique de la ruine et du fragment, si caractéristiques de la modernité ? Que dire, encore, de l’appropriation de motifs chers à la tradition épique (la descente aux enfers, l’émerveillement face à la machine du monde…) ? Enfin, comment devons-nous comprendre l’enrichissement de la tradition épique par d’autres traditions (tout particulièrement, dans le cas de notre corpus, l’hexamètre de la poésie scientifique et de la poésie cosmogonique)21 ?
Dans sa réponse, Neiva dialogue avec tous les points de vue critiques, qu’ils soient parallèles ou opposés au sien. En proposant une lecture critique de Um país o coração (1980) de Carlos Nejar, de Invenção do mar de Gerardo Mello Mourão, A máquina do mundo repensada (2000) de Haroldo de Campos, e de Latinomérica (2001) de Marcus Accioly, il approfondit sa réflexion et vérifie que, dans la pratique, ces œuvres assimilent un vaste échantillon de poésie épique brésilienne, rénovant et accroissant ainsi la tradition épique. Il conclut pourtant :
En d’autres termes, la “permanence” de l’épopée n’est possible que dans la mesure où le poète abandonne l’illusion de pouvoir transposer fidèlement à son époque le modèle classique, pour se contenter d’emprunter à cette tradition générique les éléments précis qui la définissent – en leur attribuant de nouvelles fonctions afin de répondre, en même temps, “aux désirs anciens” et aux aspirations caractéristiques de son époque22.
Les travaux théoriques que j’ai eu pour ma part l’occasion de développer en m’appuyant sur les travaux de Silva ont été publiés dans le premier volume de l’História da epopéia brasileira (2007)23. Je reprends les concepts d’histoire, de mythe, d’héroïsme, de sujet, d’identité et d’autorité épique, pour identifier deux niveaux structurants de l’épopée : le plan historique et le plan merveilleux ou littéraire – qui recoupent les deux niveaux de “matière épique” et de “double instance d’énonciation”. Comme Silva, je considère en effet que l’épopée se caractérise par la présence d’un je lyrique et d’un narrateur comme deux instances d’énonciation qui fondent le caractère hybride de l’épopée littéraire.
Par ailleurs, et comme Keller dans de toutes autres circonstances, j’ai cherché à rendre compte de l’importance des femmes24, et plus généralement des minorités, dans la production épique. On sait aujourd’hui que la production épique ne se réduit pas à la tradition classique ni au contexte européen, que les hommes ne sont pas les seuls à en assumer l’autorité – de même que la production épique n’est pas l’apanage d’une élite ou des couches privilégiées de la société. Au contraire, la demande épique s’accroît parmi les nations en développement ou sous-développées, comme la manière même d’ouvrir un espace représentatif de visibilité de leurs cultures. On le vérifie par exemple dans les études d’Ana Mafalda Leite sur la “modalisation épique” dans les pays africains, et dans les travaux de Lilyan Kesteloot sur l’épopée en Afrique et Claudine Le Blanc en Inde25. L’intérêt des auteures femmes pour ces formes est croissant, comme en témoignent Teresa Margarida da Silva e Orta (XVIIIe s.), Nísia Floresta (XIXe s.), Gabriela Mistral et Cecilia Meireles (XXe s.), pour ne citer que quelques-unes des auteures qui furent précurseures dans le développement de l’écriture épique féminine.
Portés par la spécificité de la littérature brésilienne – souvent féminine, directement littéraire, et caractérisée par l’absence de tradition épique orale qu’on puisse rapprocher d’Homère – nous avons posé les jalons d’un renouvellement de la critique qui s’est trouvé rencontrer les tentatives d’autres chercheurs dans le monde. La création du CIMEEP a alors été un moyen d’approfondir ces convergences et de lancer des débats plus généraux.
Nous l’avons déjà dit : les réflexions théoriques qui sont au fondement du CIMEEP se sont multipliées au contact des membres-fondateurs et des membres-chercheurs du REARE. Le CIMEEP ne s’appuie donc pas sur une base théorique univoque, mais bien sur une série de regards portés sur le phénomène épique, dont il veut se nourrir pour proposer une compréhension plus ample de la permanence du genre à travers les âges. Il s’agit aussi de corriger des interprétations qui, au lieu de lire le corpus épique comme un signe à interpréter, l’observent au regard d’injonctions perverses – le patriarcat, la domination coloniale, l’assignation de position subalternes à différentes strates de la société – et évaluent le genre à partir d’un critère esthétique anachronique qui fait condamner a priori toute tradition épique.
Depuis ses origines, le CIMEEP regroupe des réflexions extrêmement variées sur la matière épique, sans distinguer entre les différentes sous-catégories du corpus dans l’espace et dans le temps, pour tenir compte de la nature pluridisciplinaire du phénomène épique, qui mêle l’histoire au mythe. L’anthropologie, l’histoire, la géographie, la sociologie, la philosophie, l’éducation, la religion, les arts, la communication et d’autres aires de connaissance ont donc toute leur place au CIMEEP, qui s’est pensé comme un Centre rassembleur de lectures pluridisciplinaires qui contribuent à approfondir le regard de la lecture littéraire.
Le premier groupe de travail (GT) qui a pris acte de ce caractère pluridisciplinaire est le GT 10, intitulé “Épopée, philosophie et religion”. Aujourd’hui, l’histoire de l’art et le droit disposent de groupes de travail particuliers, utilisant les méthodes et les savoir d’autres disciplines dans l’analyse de la production épique.
Le CIMEEP a son siège au campus de São Cristóvão. En plus de cet espace physique, il dispose d’un site internet26 où sont recensés – dans les quatre langues du Centre : portugais, espagnol, français et anglais – la production de ses membres, les actualités universitaires et culturelles, les soutenances de thèse et de master, la promotion d’œuvres épiques, et toute autre information que les membres des groupes de travail veulent faire partager.
La Revista Épicas, tout en disposant d’une page web propre, fait partie de cet espace virtuel du CIMEEP27. Le premier numéro date de juin 2017 et la revue s’attache à rendre compte des activités des vingt-et-un groupes de travail à travers des appels à contribution thématiques. Aujourd’hui, les contributions les plus significatives du CIMEEP passent par la Revista Épicas qui accueille aussi des articles publiés initialement en langues étrangères et traduits en portugais.
Le projet “Cartographie d’œuvres épiques”28 est réalisé en collaboration avec le REARE, le Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique (CELIS, Université Clermont-Auvergne)29 et le Projet Épopée30. Une première carte virtuelle et interactive de la production épique mondiale à travers les âges a vu le jour en 2018. Elle concentrera rapidement des entrées bibliographiques pour des épopée réunies en huit sous-genres (poésie épique, poésie orale, narration épique, théâtre épique, cinéma épique, cordel épique, court poème épique et œuvres hybrides), qui permettra aux chercheurs, mais aussi à un public moins spécialisé, d’accéder, par une traduction visuelle, aux différentes expressions du genre.
Le nom de “Centre” est pleinement justifié par le fait que le CIMEEP regroupe différents groupes de travail dont chacun explore des lignes de recherche bien précises. La participation des chercheurs au CIMEEP est ainsi déterminée par les groupes de travail eux-mêmes ou par la coordination du centre. L’interdisciplinarité du centre ouvre aussi la possibilité de créer de nouveaux groupes de travail, éventuellement à l’occasion de l’intégration d’un nouveau membre-chercheur qui peut ainsi formuler une “Proposition de création de GT pour le CIMEEP ” qui sera ensuite évaluée par les membres-fondateurs.
Être membre fondateur, chercheur ou temporaire du CIMEEP implique de s’engager à échanger des informations sur les recherches et les événements scientifiques en cours ; à participer, autant que possible, aux colloques, séminaires et congrès promus par le CIMEEP ; à fournir des données, textes et informations pour alimenter le site internet ; à participer aux publications du CIMEEP et aux réunions virtuelles mises en place pour pérenniser l’échange entre les membres ; enfin et surtout, à promouvoir les œuvres épiques.
Durant les deux premières années de vie du centre, la coordination des groupes de travail fut assurée par les membres fondateurs, puis, à partir de la troisième année, s’ouvrit aux membres chercheurs qui avaient rejoint le CIMEEP. Elle ne peut être exercée que par des membres fondateurs ou par des chercheurs rattachés à l’Universidade Federal de Sergipe.
Voici la configuration initiale des groupes de travail du CIMEEP et leurs coordinateurs respectifs :
1. Études théoriques sur l’épopée (coord. Anazildo Vasconcelos da Silva)
2. L’épopée et l’imaginaire mythique (coord. Ana Maria Leal Cardoso et Amade Faye)
3. L’épopée et la culture populaire (coord. Murilo Costa Ferreira et Abdoulaye Keita)
4. L’épopée hispano-américaine (coord. Dante Barrientos Tecún et Assia Mohssine)
5. Historiographie épique (coord. Christina Ramalho et Margaret Anne Clarke)
6. L’épopée et les études classique (coord. Carlinda Nuñez Fragale e Marcos)
7. L’épique dans la modernité (coord. coordenação Saulo Neiva et Florence Goyet)
8. L’épopée orientale (coord. Anna Beatriz da Silveira Paula et Claudine Le Blanc)
9. Les formes de l’épopée dans les littératures africaines en portugais (coord. Inocência Mata)
10. Épopée, philosophie et religion (coord. Cícero Cunha Bezerra et Cheick Sakho)
11. L’épopée et les formes longues en langue française (coord. Nelson Charest)
11. Analyse de la fonction politique du discours sur l’épopée (coord. Charlotte Krauss et Urs Urban)
13. Argumentation et rhétorique dans la poésie épique (coord. Márcia Regina Curado Mariano). Orientation changée en 2017 : “Regards textuels et discursifs sur l’épopée populaire brésilienne”.
14. Sources et modèles de l’épopée : le cas portugais (coord. Vanda Anastácio et José Pedro Serra)
15. L’épopée nord-américaine (coord. Delphine Rumeau)
16. L’épopée camonienne dans les systèmes d’enseignement du Portugal et du Brésil (coord. José Augusto Cardoso Bernardes)
17. L’épopée africaine (coord. Lilyan Kesteloot et Bassirou Dieng)
Aujourd’hui, en 2018, le CIMEEP compte vingt-et-un groupes de travail. Les groupes 20 ("L’épopée dans l’histoire de l’art") et 21 ("Droits culturels et épopée") renforcent son orientation pluri-disciplinaire. La production épique d’auteures femmes a acquis un groupe de travail propre (GT 18, "L’épopée et les femmes"), de même que l’épopée italienne (GT 19 "Figures de l’épique : identité et représentation nationale dans la littérature italienne et les pays lusophones").
À une époque où fleurissent les discours apocalyptiques, l’une des manifestations de l’epos, la poésie épique (orale ou écrite, voire réécrite dans d’autres langages, plastique, cinématographique…) constitue un lieu de réaffirmation de l’identité historique et culturelle qui mérite d’être entendue, lue et relue dans sa propre culture et dans d’autres.
Il est ainsi indispensable que le texte épique circule du point de vue culturel, qu’il soit lu et engendre, comme toute littérature, de nouveaux textes et de nouveaux langages nés de l’écoute et de la lecture, comme autrefois et comme c’est le cas, de nos jours, pour la production cinématographique épique. En entrelaçant les textes, les langues, les lectures et les relectures, le genre épique accomplit sa mission de représentation de l’epos d’une société. En ce sens, la critique assume la responsabilité importante de faire circuler dans le champ académique, sans les discriminer et en respectant les différences qui promeuvent le plus intense sens du beau, les recherches sur la demande épique inhérente à la présence humaine dans le monde. L’épopée est, en définitive, une manière de dire qui sous-tend la nécessité de la mémoire comme canal de réflexion sur l’avenir.
1 L’Universidade Federal de Sergipe (UFS) commémore, en 2018, les 50 ans de sa fondation. Elle se compose de six campus (Aracaju, São Cristóvão, Laranjeiras, Itabaiana, Lagarto et Nossa Senhora da Glória), réunit près de 28.000 étudiants de licence et 5.000 de master.
2 Voir Hegel, Esthétique ; Lukács, Georg. La théorie du roman. Trad. J. Clairvoye. Paris: Denoël, 1963; et Bakhtine. Mikhaïl. Esthétique et théorie du roman. Trad. D. Olivier. Paris : Gallimard, 1978.
3 Il s’agit des étudiants de licence et de Master qui n’enseignent pas encore.
4 Sur ce sujet, mais dans un tout autre contexte, on verra Delphine Rumeau, Épopées du nouveau monde, Paris, Garnier, 2009 et Épopées postcoloniales, Paris, Garnier, à paraître en 2019.
5 On reviendra sub fine sur le problème du cordel.
6 Cecile Bowra, Virgílio, Tasso, Camões e Milton: Ensaio sobre a epopeia, Porto, Livraria Civilização, 1950, p. 103.
7 Ibid., p. 153.
8 Voir en particulier les travaux en cours de Beate Langenbruch (ENS-LSH, Lyon) et de Martine Kunz (Universidad de Fortaleza, Brésil).
9 Ainsi, Moses I. Finley, dans The World of Odysseus (1954), souligne-t-il la “présence d’Homère” et en fait le fondement de lépique en général. (“De fait, aucun poète, aucune personnalité littéraire n’a occupé dans la vie de son peuple, au cours de l’histoire, une place comparable. Il fut par excellence le symbole de ce peuple, l’autorité incontestée des premiers temps de son histoire, une figure d’importance décisive pour la création de son panthéon. Il fut aussi le poète préféré, le plus largement cité”), Le monde d’Ulysse, trad. de Claude Vernant-Blanc et Monique Alexandre, Paris, Éditions La Découverte, 1986, p. 15.
10 Voir aussi Emil Staiger, Conceitos fundamentais da poética. Rio de Janeiro: Tempo Brasileiro, 1972 [voir aussi la version anglaise Basic concepts of poetics, Penn State Press, 2010], p. 112.
11 Ibid., p. 114.
12 Ibid., p. 112.
13 Christina Ramalho, Vozes épicas: história e mito segundo as mulheres, Tese de doutorado, Rio de Janeiro, UFRJ, 2004, p.117.
14 1950, p. 11.
15 Ibid., p. 5.
16 Pour une présentation de cette théorie, voir Le Recueil ouvert [En ligne], volume 2015 – Journée d’études du REARE, section 1 (“Théories générales de l'épopée”) : “Voix.html narrative et voix lyrique dans l’épopée moderne”.
17 Neiva, Saulo (éd.), Déclin et confins de l'épopée au XIXe siècle, Tübingen, Narr, 2008 ; et Désirs & débris d'épopée au XXe siècle, Peter Lang, 2009.
18 Neiva, Saulo. Avatares da epopeia na poesia brasileira do final do século XX. [Avatars de l’épopée brésilienne dans la poésie brésilienne de la fin du XXe siècle], Fundação Joaquim Nabuco, Editora Massangana, 2009.
19 Texte originel en portugais: “inúmeros são os poemas narrativos longos, compostos em diferentes línguas, entre o século XX e este início do século XXI, que possuem ligações diretas com a tradição épica ocidental” (2009, p. 20).
20 Saulo Neiva, Avatares…, op. cit., p. 20.
21 Saulo Neiva, Avatares…, op. cit., p. 22.
22 Saulo Neiva, Avatares…, op. cit., p. 210.
23 da Silva, Anazildo Vasconcelos, et Ramalho, Christina, História da epopéia brasileira: teoria, crítica e percurso [Histoire de l’épopée brésilienne] Vol. 1. Editora Garamond (Brésil), 2007.
24 Ma thèse de doctorat, Vozes épicas: história e mito segundo as mulheres (Rio de Janeiro, UFRJ, 2004), porte sur la production épique de dix auteures femmes.
25 Le Blanc, Claudine, « Que pense la parole des femmes ? Les enjeux du dialogue dans la version récente d’une tradition épique de l’Inde méridionale », Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines [En ligne], 45 | 2014, mis en ligne le 30 juin 2014, consulté le 08 juillet 2018. URL : http://journals.openedition.org/emscat/2405 ; DOI : 10.4000/emscat.2405
26 www.cimeep.com (consulté le 04/07/18).
27 www.revistaepicas.com (consulté le 04/07/18), ISSN 2527-080X.
28 https://www.cimeep.com/mapeamento (consulté de 02/07/2018).
29 https://celis.univ-bpclermont.fr/ (consulté de 02/07/2018).
30 En ligne sur le site de L’Ouvroir Litt&Arts.
Christina Bielinski Ramalho, «Le Centre International et Multidisciplinaire d’Études Épiques (CIMEEP) : présentation», Le Recueil Ouvert [En ligne], mis à jour le : 09/11/2023, URL : http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/304-le-centre-international-et-multidisciplinaire-d-etudes-epiques-cimeep-presentation