Le Recueil ouvert

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Section 4. État des lieux de la recherche

Une nation se fait avec de la littérature

Tereza Virgínia Ribeiro Barbosa

Résumé

Cet article discute l’intérêt pour les textes littéraires de chercher à reproduire les variantes dialectales et sociolinguistiques – ou “métaplasmes”. Ce procédé est généralement considéré comme un outil permettant de briser les préjugés culturels et linguistiques, comme chez Homère ou chez João Guimarães Rosa dans Grande Sertão : Veredas. Les travaux de Teresinha Ward nous rappellent cependant que le procédé n’est pas en lui-même gage de l’“hospitalité langagière” dont parle Ricœur. À propos de deux œuvres du tournant des XIXe et XXe siècles, A escrava Isaura de Bernardo Guimarães (1875) et Rei negro, de Coelho Neto (1914), Ward a montré au contraire le rôle typifiant et disqualifiant du même procédé. Nous suggérons que la reproduction esthétique de la diversité d’une communauté linguistique est un acte politique quand ces variantes sont présentées comme des composantes du paysage linguistique d’une nation ; et nous avons fait pour notre part des propositions pour une traduction d’Homère qui cherche à rendre compte de ces métaplasmes.

Abstract

“A nation is made of literature”The article discusses the power of metaplasms in literary texts. They are a linguistic tool to break discrimination and linguicism. The discussion will evaluate the use of the tool in two authors: João Guimarães Rosa (Grande Sertão: Veredas) and Homer (Iliad). We will highlight the richness of the process in creating national linguistic panoramas. However, critics have been able to show that it can also be used to discriminate. We suggest that aesthetically reproducing the diversity of a linguistic community is a political act. For our part, we have worked on a mode of translation of the Iliad which would aim to make them appear.
 

Texte intégral

Ce texte est la traduction d’un article de la Revista Épicas, revue du Centro Internacional e Multidisciplinar de Estudos Épicos (CIMEEP, Brésil), associé de longue date du Projet Épopée (voir ici-même les présentations par sa directrice, Christina Ramalho, dans Le Recueil ouvert [En ligne], livraisons 2018 et 2019).Traduction du brésilien, finalisée et annotée à partir d’une base DeepL par Inès Cazalas, Université de Paris, URP 441, Cerilac ; Eden Viana Martin, Université de Pau, Alter- Arts/Langages ; Mathilde Mougin, Université Grenoble Alpes, UMR 5316, Litt&Arts et Luciano César Garcia Pinto, professeur à l’Université Fédérale de São Paulo (UNIFESP) en Langue et Littérature Latines.

      

Introduction1

Cet article discutera la puissance des métaplasmes – ces procédés qui cherchent à reproduire les variantes dialectales et sociolinguistiques. En littérature, on les considère comme un instrument linguistique qui démocratise la représentation artistique des divers idiomes et personnages-types d’une nation. Il s’agit le plus souvent de briser les préjugés culturels et linguistiques, d’établir des “territoires esthétiques” de dignité équivalente à des variantes linguistiques. C’est particulièrement important lorsqu’il s’agit d’un territoire hétérogène et divers, où se parle par exemple une variante du portugais – le brésilien2. La discussion évaluera l’utilisation des métaplasmes dans les textes de deux séries d’auteurs : João Guimarães Rosa et Homère, d’une part, et deux auteurs du tournant des XIXe et XXe siècles : Bernardo Guimarães et Coelho Neto. Notre objectif est surtout de mettre en évidence la richesse du processus dans le premier cas – où nous le considérons comme un outil pour caractériser, incorporer et agréger les différences.

I. Métaplasmes et “hospitalité langagière”

Pour situer notre propos, on peut penser à Paul Ricœur discutant la conception du mythe de Babel par Steiner (apud RICŒUR, 2004, p. 34). Là où Steiner lit cet épisode comme une “catastrophe langagière irrémédiable” (op. cit. p. 23) une punition de Dieu et une “une prodigalité néfaste”, le chercheur s’interroge :

(...) Je voudrais revenir sur l’interprétation du mythe de Babel, que je ne voudrais pas clore sur l’idée de catastrophe linguistique infligée aux humains par un dieu jaloux de leur réussite. On peut aussi lire ce mythe, ainsi d’ailleurs que tous les autres mythes de commencement qui prennent en compte des situations irréversibles, comme le constat sans condamnation d’une séparation originaire (...). Pour donner plus de force à cette lecture, je rappellerai avec Umberto Eco que le récit de Genèse XI, 1-9 est précédé par les deux versets numérotés Genèse XI, 31, 2, où la pluralité des langues semble prise pour une donnée simplement factuelle (…). (...) il n’y a aucune récrimination, aucune déploration, aucune accusation : “Yaveh les disperse de là sur la face de toute la terre. Ils cessent de bâtir. Ils cessent de bâtir ! Façon de dire : c’est ainsi. (...) À partir de cette réalité de la vie, traduisons ! (…) Il y a certes une contrainte : si on veut commercer, voyager, négocier, voire espionner, il faut bien disposer de messagers qui parlent la langue des autres. (RICŒUR, 2004, p. 31-38).

Nous aimerions prolonger la citation, mais dans le cadre de cet article, Ricœur n’est qu’un mot d’ordre pour élargir le sujet et replacer la traduction dans le cadre plus large de la variation linguistique et de l’urgence d’écouter la parole des autres : il nous suffit de souligner sa proposition de voir le monde sous un angle positif et de conclure, sans démagogie, que le mythe de Babel nous présente un acte original de puissance vitale. Ainsi, nous comprenons que c’est l’existence même des différences qui permet le bonheur de pouvoir traduire et de pratiquer “l’hospitalité langagière” (RICŒUR, 2004, p. 49). Pour notre réflexion qui s’intéresse à la prise en compte du dialecte dans la traduction, nous admettrons donc que la diversité originelle est une richesse, et non une punition, et que dans cette pluralité, cette abondance, cette richesse, il y a non seulement des différences entre les langues des nations, mais aussi des différences et des variations au sein d’un même discours, d’une même langue ; des différences internes, fécondes et riches.

C’est ainsi que nous jugeons sans crainte que l’incorporation des dialectes régionaux – comme Homère l’a fait dans ses poèmes et comme, selon nous, on peut le faire dans les traductions d’Homère – serait importante et utile pour le Brésil. En ce sens, nous suggérons qu’il serait utile de reproduire la diversité linguistique dans la traduction des épopées grecques. Nous cherchons le moyen de le faire à travers des choix lexicaux prudents – en suivant l’exemple de Guimarães Rosa – sans distorsions ou fautes linguistiques ou orthographiques3, qui, en typifiant les personnages, finissent par les stigmatiser.

Homère et Guimarães Rosa ou l’“hospitalité langagière”

Guimarães Rosa est donc notre guide, dans le travail que nous avons engagé de traduire des extraits des poèmes homériques en trouvant des équivalents aux formes dialectales grecques qui y sont présentes. Nous appelons “fantaisies métaplasmiques” nos tentatives en ce sens4. Pour nous, c’est un acte politique important que de faire apparaître dans des textes canoniques les variantes locales – par le vocabulaire et l’utilisation de formes archaïques, rares ou inusitées, par le maintien de formes concurrentes d’un même lexique, par l’observation d’une ponctuation particulière pour marquer les rythmes propres à chaque région, etc.5.

Concernant Homère, c’est en effet un lieu commun des chercheurs d’admettre que la caractéristique la plus frappante des poèmes homériques (et en même temps leur principale difficulté) est la variété des formes qu’ils présentent6, une variété plus grande que celle que nous supposons possible dans une seule langue parlée7. Kirk, dans son commentaire sur l’Iliade, souligne cette multiplicité et variabilité des formes lexicales chez Homère8. De leur côté, Edna Maria Nascimento et Lenira Marques Covizzi font le même constat en ce qui concerne João Guimarães Rosa dans leur étude João Guimarães Rosa : homem plural, escritor singular (2001).

Nous posons ici que l’Iliade et l’Odyssée, résultant de la couture des multiples identités locales du monde hellénique, sont très semblables à la Grande Sertão : Veredas par au moins un aspect : tous deux se constituent comme un tohu-bohu lexical, produit par la rencontre presque naturelle de formes dialectales archaïques ou régionales – en grec, avec la prédominance du ionien ; en portugais, avec la prédominance du mineirês. Ces variantes et formes variables se fondent dans une harmonie, elles sont comme un fleuve coulant et fluide, de très haute température poétique, un magma qui, surgissant de la profondeur créatrice du substrat d’un possible langage humain général (et presque divin, comme osait le proposer Walter Benjamin dans “La Tâche du traducteur”9) fait resurgir de nouvelles formes et récupère des significations accumulées sur un long parcours temporel.

De nombreux linguistes et comparatistes ont fait état de cette impression ; nous voudrions ici la développer un peu, dans un entre-deux entre philologie et analyse littéraire du grec ancien, et études brésiliennes. Nous nous plaçons par-là dans la continuité des travaux d’Elizabeth Hazin, Walnice Nogueira Galvão, Maria Célia de Moraes Leonel, Teresinha Souto Ward, Edna Maria do Nascimento, Christian Werner et Patrizia Colina Bastianetto, entre autres.

Pour une nouvelle traduction d’Homère

Aussi bien dans l’Iliade que dans Grande Sertão : Veredas, le chercheur rencontre d’innombrables voyelles douteuses, des accommodements rythmiques inhabituels, des duplications syntaxiques et sonores, des métathèses, des assimilations et des dissimilations imprévisibles, qui participent à la beauté profonde de ces textes10.

La traduction des textes homériques en général ne rend pas compte de ces éléments hétérogènes, dont elle donne une version “lissée”. Mais le résultat de l’accumulation de ces paragoges, aphérèses, syncopes, apophonies, métaphonies et autres modifications de timbre est un effet proprement stylistique, et d’une grande puissance. Qui les accepte au lieu de les lisser aura la sensation d’avoir capté la parole humaine naturelle dans un flux continu. Saisi par cette myriade inattendue de variantes, le lecteur se trouve plongé dans un rythme vertigineux qui lui donne l’impression d’être auprès du narrateur, sur le champ de bataille, que ce soit sur la scène antique du siège de Troie ou dans le Sertão brésilien.

Si l’on suit Zumthor dans sa distinction entre le texte écrit – dans sa permanence – et le texte oral strictement assujetti à l’exigence présente de la performance (Zumthor, 1987), on peut admettre que le texte écrit qui mime l’oral (par les métaplasmes et le style de formulation) participe des effets des deux – écrit et oral – et même va au-delà, puisqu’il se situe dans le passé, par l’archaïsme de la formulation, par l’écriture antérieure qui l’a fixé, etc. Fait stylistique, la transcription de ces éléments linguistiques hétérogènes est donc plus profondément encore un fait politique.

Avant de développer ce point, il faut noter cependant que le fait de faire apparaître des idiolectes et des éléments qui dévient du portugais standard dans un texte destiné au lecteur éduqué n’est cependant pas en soi une acceptation de l’autre. De nombreux auteurs ont fait apparaître la différence géographique ou sociale – ont utilisé des métaplasmes. L’effet peut être au contraire une mise à distance et une disqualification.

II. Un procédé ambivalent

Teresinha Ward permet de cerner le problème quand elle commente les romans de deux auteurs brésiliens du tournant des XIXe et XXe siècles, A escrava Isaura de Bernardo Guimarães (1875) et Rei negro, de Coelho Neto (1914).

Le premier aplatit les différences sociolinguistiques, “lisse” la présentation des personnages – refuse les métaplasmes. Ward commente ainsi une conversation entre les esclaves Isaura et Rosa :

Quelle langue parlent ces esclaves ? Les différents niveaux sociolinguistiques de la situation réelle ne sont pas représentés. Le narrateur et les esclaves parlent le même portugais. Bien que, comme d’autres auteurs romantiques, Bernardo Guimarães incorpore une certaine suggestion d’oralité (...), il présente dans A escrava Isaura une vision utopique et hautement idéalisée du cadre et des personnages. Les esclaves parlent un portugais culturel et littéraire, indiquant, peut-être, l’attitude de l’auteur, le soi-disant “syndrome du nouveau pays” ou une forme de compensation pour la pauvreté matérielle et le retard culturel du pays11.

Pour le second, Rei Negro de Coelho Neto, plus acerbe, Ward montre que le texte enregistre assurément une prononciation éloignée des formes du portugais standard. On a bien une déconstruction des idées d’écriture et d’oralité. Mais le processus n’est pas ici une “hospitalité langagière”, un accueil de l’autre :

Bien que ce passage reproduise également la voix du narrateur et des esclaves de l’intérieur du Brésil, les esclaves de Coelho Neto parlent dans une langue “réaliste-naturaliste”12, avec la représentation littérale d’un discours qui s’écarte de la norme et est considéré comme “inférieur”. [Certes, le texte fait apparaître], parfois pour la première fois à l’écrit, d’anciennes formes populaires, très courantes dans la langue orale de l’intérieur – comme ansim – ou des interjections comme uai, des représentations orthographiques de variations phonétiques, des réductions du type guënta pour aguenta, des transpositions – drumi pour dormir –, l’ellipse de l’article – dia não chega. [Mais dans son souci de documenter], Coelho Neto exagère le phénomène, en désignant comme dialectales plusieurs prononciations pourtant courantes dans le discours des personnes “éduquées”. [...]. Par ailleurs, la dissociation du discours du narrateur de celui des personnages contribue à mettre en évidence le discours du personnage et à suggérer que le dialecte représenté est plus éloigné du portugais standard qu’il ne l’est réellement, renforçant ainsi le stéréotype courant dans les littératures régionalistes13.

Traiter les variantes linguistiques comme un élément esthétique n’est ainsi pas simple : l’“hospitalité langagière” consiste à faire apparaître une variété d’utilisations, d’interprétations et d’influences – et jamais, au grand jamais, un univers étriqué, figé ou fossilisé.

Le procédé chez Guimarães Rosa

C’est à quoi réussit Guimarães Rosa. Il parvient à harmoniser la parole dans la narration du personnage de Riobaldo. Loin de la pratique de Coelho Neto, il est conscient de la variation du discours de son personnage, il ne fantasme pas mais cherche le réel et utilise ce que les gens utilisent. Ainsi, s’il fait coexister difícil et difícel, c’est parce que les deux formes existent et représentent le Brésilien qui utilise l’une ou l’autre. Cependant, l’expédient est le “poisson vivant sur le gril”14 : 

De primeiro, eu fazia e mexia, e pensar não pensava. Não possuía os prazos. Vivi puxando difícil de difícel, peixe vivo no moquém : quem mói no asp’ro, não fantasêia. Mas, agora, feita a folga que me vem, e sem pequenos dessossegos estou de range rede. E me inventei neste gosto de especular idéia. (ROSA, 2009, vol. 2, pág. 8)
Au début, je faisais et je me démenais, et penser je ne pensais pas, je n’avais pas le loisir. J’ai vécu à la dure de dure, poisson vivant sur le gril : qui s’esquinte à la dure ne se monte pas la tête. Mais, désormais, vu le temps qui me vient, et sans petits soucis, je farniente. Et je me suis inventé ce goût, de spéculer sur des idées. (ROSA, p. 25)

Cela ne l’empêche pas d’utiliser parfois le procédé pour typifier et dénoncer, comme le faisaient Coelho Neto et Bernardo Guimarães. On rencontre ainsi un cas de disqualification délibérée, les catruman15. Ward le remarque :

L’un [de ces catruman] se distingue par son discours : “Je donne à manger à ma... a... femm’ et à trois... ois p’tiots, là, dans ma cabane...” (ROSA, p. 679). L’accumulation dans une seule phrase d’éléments qui s’écartent du portugais standard crée le contraste nécessaire pour mettre en valeur le discours du catruman [...] comme le discours des autres personnages, y compris le narrateur, utilise certains des mêmes éléments, bien que de façon éparse, il est nécessaire d’exagérer leur représentation afin de créer le contraste linguistique, et donc social, entre les deux groupes représentés16 (…).

Mais l’essentiel de son travail consiste à unir, comme dans un fleuve, les multiples courants qui coexistent sans s’écraser. Un discours général ne serait guère satisfaisant ici, il faut en donner des exemples concrets. Nous avons choisi de le faire dans les notes à notre tentative de traduction “métaplasmique” d’Homère que l’on trouvera en annexe à la fin de cet article. On retrouve en effet chez Rosa les principaux outils langagiers qui nous ont frappée chez Homère. C’est parfois même le texte de Rosa qui nous a rendue sensible au procédé et à sa puissance chez Homère.

Le procédé chez Homère

On trouve aussi ce procédé chez Homère, dans sa double utilisation : le chant qui met en scène Thersite est ainsi un exemple de disqualification par l’imitation du discours, alors que le combat d’Achille contre le fleuve Xanthe tire sa puissance de l’utilisation inverse, “accueillante”, des métaplasmes.

Thersite est en effet caractérisé très négativement, et tous les procédés linguistiques, y compris ceux qui miment son discours, concourent à montrer son avilissement.

Son nom est “motivé” – il a un sens qui dit quelque chose sur le personnage : il signifie à la fois “audace”, “courage”, et “témérité”, “imprudence” – mais tout ceci ironiquement. Ainsi, selon Chantraine :

Le nom de Thersite doit donc se prendre en bonne part, le sens qu’il implique étant quelque chose comme “l’audacieux, l’intrépide”. Il n’a pas été créé pour désigner le héros homérique. Toutefois il apparaît qu’il lui convient à merveille. Thersite l’intrépide : oui, mais en paroles seulement, pour s’en prendre aux puissants. Il piaille sans mesure (αμετροεπής εκολφα Β 212), il connaît des mots malséants pour s’attaquer aux rois, il couvre Agamemnon d’injures. Laid et quasi infirme, il reprend sur un ton presque vulgaire les accusations qu’Achille lançait au roi des rois dans le premier chant : “tes baraques sont pleines de bronze, tes baraques regorgent de femmes” (226) ; ... “ou bien encore un coup as-tu besoin d’or ? d’un or venu d’Ilion” (229) ; ...“ou bien encore d’une jeune captive pour goûter l’amour dans ses bras et la garder pour toi seul, loin de tous” (232-233) (CHANTRAINE, 1963, p. 22).

Selon Stuurman, qui suit Chantraine sur ce point, le personnage, qu’on nous montre informe, presque glabre, aux épaules tombantes et aux jambes arquées :

est dépeint comme un homme de basse position sociale, qui n’a pas de patronyme, pas de lieu d’origine. C’est, littéralement, un homme de rien ; le fait qu’il s’adresse à l’assemblée sans respecter le rituel du sceptre qui autorisait les participants à prendre la parole jette un doute sur la légitimité de son intervention. Stuurman17.

Richard Martin, dans un texte de 1989, ajoute une particularité significative pour nous. En comparant le texte des discours de Nestor et de Thersite, il note que le discours de ce dernier est presque dépourvu de métrique par rapport à ceux des autres héros18. Selon Martin, si on le déclame à haute voix, le discours nous apparaît comme un texte qui manque de “correptio”19 ; les crases, abondantes, “créent le même effet auditif : Thersite avale ses mots.” (MARTIN, 1989, p. 112)20. Le discours de Thersite, si on le compare à celui de Nestor, est ainsi celui qui a le plus besoin de corrections métriques.

III. Essais de traduction "métaplasmique"

Note des éditeurs

L’article présente ensuite les procédés linguistiques utilisés par la Pr Barbosa pour rendre dans sa traduction portugaise les effets de métaplasmes de l’original homérique – ce qu’elle appelle ses “fantaisies métaplasmiques”.

Nous ne pouvons traduire directement ni en entier cette fin d’article. Cependant nos collègues se sont lancés à donner, sur une douzaine de vers, un équivalent de cette traduction portugaise. Nous remercions Mathilde Mougin et Luciano César Garcia Pinto pour ce travail impressionnant.

Nous présentons donc ici pour ces quelques extraits21 :– le texte grec
– une traduction française classique – “lisse” pour reprendre l’expression de T. Virgínia Barbosa ;
– la traduction de Mathilde Mougin et Luciano César Garcia Pinto, accompagnée de notes qui décrivent le travail de T. Virgínia Barbosa sur ces vers ;
– pour référence : la traduction de T. Virgínia Barbosa pour ces mêmes extraits (mais nous renvoyons à la version en ligne dans la Revista Épicas pour l’ensemble de sa traduction) ;

En annexe après la conclusion, nous donnerons les notes philologiques au chant XXI par lesquelles T. Virgínia Barbosa explicite son travail et fait le lien avec l’écriture de Guimarães Rosa.

a. Thersite : Iliade, I, 224-232

Texte grec :
Ἀτρεΐδη τέο δὴ͜ αὖτ ̓ ἐπιμέμφεαι͜ ἠδὲ χατίζεις ; πλεῖαί τοι χαλκοῦ κλισίαι, πολλαὶ δὲ γυναῖκες
εἰσὶν ἐνὶ κλισίῃς ἐξαίρετοι͜ ἅς τοι Ἀχαιοὶ
πρωτίστῳ δίδομεν εὖτ ἂν πτολίεθρον ἕλωμεν.
ἦ ἔτι καὶ χρυσοῦ ἐπιδεύεαι͜ , ὅν κέ τις οἴσει
Τρώων ἱπποδάμων ἐξ Ἰλίου͜ υἷος ἄποινα,
ὅν κεν ἐγὼ δήσας ἀγάγω ἢ ἄλλος Ἀχαιῶν,
Traduction de Jean-Baptiste Dugas-Montbel (1815-1818) :
Atride, pourquoi te plaindre ? que te manque-t-il encore ? Tes tentes regorgent d’airain, et renferment plusieurs femmes superbes, que les Grecs s’empressèrent de t’offrir quand ils ravagèrent les villes ennemies. Faut-il encore qu’un Troyen t’apporte d’Ilion ses trésors pour racheter son fils, que moi seul ou quelque autre guerrier aurons amené prisonnier en ces lieux ? Te faut-il une nouvelle captive, que tu tiendras à l’écart pour la posséder seul ?22
Traduction “métaplasmique” de Mathilde Mougin et Luciano César Garcia Pinto :
Fi’d’Atrée, tu t’irrites23 et manifestes une otre24 fois ta désapprobation25 ?Tu as tes tentes toutes pleines de cuivre, beaucoup de femmes triées sur le volet dans tes tentes, celles que les Achéens tout aussitôt donnâmes, ah, oui, dès que nous renversons les villages.
Hé, qui plus est26, ce dont tu as besoin c’est d’or qu’un de ces troens27-dompte-poulain-là, pour un fi’ d’Ilion, pour sa délivrance, un qu’moi, ou un des Achéens, ait attrapé et apporté, ou pour une femme-fille bonne pour se mélanger au lit, que, à part, tu retiens juste pour toi !
Traduction “métaplasmique” portugaise de Teresa Virgínia Barbosa :
Fil’d’Atreu, t’entouras e instas o’tra vez contra ?Tens tuas tendas lotadas de cobre, muitas donas
joeiradas dentro das tendas, as que os Aqueus de
primaríssimo demos, ah, sim, que vilas tombamos.
Hê, o mais ó, careces é d’ouro que um lá dos
troas-doma-potro, por um fil’d’ Ílion, livrança desse,
um q’eu, ou um dos Aqueus, tivesse preado e trazido,
ou por uma dona-moça boa pra mistura na cama, que,
de apartado, reténs só pra ti mesmo !

b. Combat d’Achille contre le Xanthe : Iliade, XXI, 1-5

Dans l’ouverture du chant 21, la fabuleuse bataille d’Achille contre le fleuve Xanthe, les dialectes fonctionnent harmonieusement. Là nous voyons se créer un fleuve unique bien que multiple. Voici la traduction que nous proposons des cinq premiers vers de la poursuite du héros contre les Troyens, qui tentent, désespérément et sauvagement, de s’échapper par le cours du fleuve28.

Texte grec29 :
ἀλλ ̓ ὅτε δὴ πόρον ἷξον ἐϋρρεῖος ποταμοῖο Ξάνθου δινήεντος , ὃν ἀθάνατος τέκετο Ζεύς, ἔνθα διατμήξας τοὺς μὲν πεδίονδὲ δίωκε πρὸς πόλιν, ᾗ περ Ἀχαιοὶ ἀτυζόμενοι φοβέοντοἤματι τῷ προτέρῳ, ὅτε μαίνετο φαίδιμος Ἕκτωρ·
Traduction de Jean-Baptiste Dugas-Montbel (1815-1818) :
Lorsque les Troyens arrivent près du Xanthe rapide, ce fleuve au cours sinueux, qu’engendra l’immortel Jupiter, Achille, rompant leurs phalanges, les disperse dans cette plaine près de la ville où le jour précédent les Grecs s’enfuyaient éperdus, lorsque triomphait le valeureux Hector.30
Traduction “métaplasmique” de Mathilde Mougin et Luciano César Garcia Pinto :
Dès qu’ils avenirent31 au bord du fleuve s’écourant32, du Xanthe orbital que Zeus immortel jacula33, là, scillés34 en deux, il en chassa quelques-uns dans la plaine en direction du village, p’r où35 quelques Achéens furieux filèrent le jour d’avant, quand s’emplit de folie Hector climax36 !
Traduction “métaplasmique” portugaise de Teresa Barbosa :
Daí no que arrivaram o raso do rio’scorredoso, do Xanto orbital que Zeus imortal jaculou, ali,
desmeiados, caçava uns planura afora rumo à
vila, pr’onde uns aqueus desvairados se visparam
dia antes, quando se malucou Heitor galarim !

IV. Notes philologiques au début du chant XXI

 

Note des éditeurs

Nous donnons ici au lecteur une traduction des notes philologiques de l’auteure, parce qu’on y voit sur pièce le rapprochement qu’elle invite à faire avec le travail de G. Rosa.]

1. ἷξον

Dans ce premier verset du chant, on met en évidence la forme ἷξον. Un aoriste archaïque (sigmatique et avec une voyelle thématique) de ἴκω. Un stratagème linguistique analogue, en portugais, serait d’utiliser, comme le font les enfants, “eu sabo” au lieu de “eu sei”, “ele fezo” au lieu de “ele fez” ou “ela bobia au lieu de “ela bobeia”. Rosa fait une syncope dans le mot rugueux (asp’ro) et propose “fantasêia" pour “fantaisie”. Chantraine discute de cette forme dans le §208 de Morphologie (1984). Serait-elle un mélange d’imparfait et de futur, un désir ancien ou une invention de l’épopée ? Pour simuler l’étrangeté homérique en traduction, nous utilisons un archaïsme portugais, “arribar”, avec un métaplasme inventé qui renvoie à la forme française “arriver”.

C’est la lecture de Guimarães Rosa qui nous a donné l’indice : “Trovoeira”. Que le tonnerre a mal résonné. - “Tá nas tousse... - un de ces bineurs a parlé. Pauvres petits oiseaux de campagne, sans assistance” (Nous soulignons ; ROSA. Campo Geral, vol. 1, 2009, p. 288). Voir également : “Aí Zé Bebelo não discrepou pim de surpresa, parecia até que esperava mesmo aquele voto. – ‘De todo poder ? Todo o mundo lealda ?’ – ainda perguntou, ringindo seriedade. Confirmamos.” – “Alors Zé Bebelo n’a pas boudé sa surprise, on aurait même dit qu’il s’attendait vraiment à ce vote. - De tout pouvoir ? Todo o mundo lealda ? - a-t-il encore demandé, avec un sérieux sonnant. Nous confirmons. ” (Nous soulignons ; ROSA. GSV, vol. 2, 2009, p. 60).

2. ἐϋρρεῖος

Outre ce métaplasme, il en existe un autre, dans le même verset : la forme ἐυῤῥεῖος est une contraction épique particulière de ἐυρρε-έ-ος (Le Grenier préfère εὐρρεοῦς). Cela signifie “bien rempli de chaînes”. De même, pour marquer l’étrangeté épique, nous optons pour une forme inspirée d’un adjectif inhabituel du dictionnaire, “corredoso”, au lieu de “plein de courants” ou “beaux courants”.

Il est intéressant de vérifier à nouveau l’utilisation d’une ressource similaire dans Rosa, avec l’utilisation d’un suffixe inhabituel : “Dito começava a dormir de repente, era a mesma coisa que Tomezinho. Miguilim n’aimait pas mettre ses yeux dans le noir. Il ne voulait pas s’allonger sur le dos, car une femme hantée vient s’asseoir sur son ventre. Si les pieds étaient laissés en dehors de la couverture, une main froide et pleine d’âme venait prendre le pied.” (Nous soulignons ;. ROSA. Campo Geral, vol. 1, 2009, p. 288) ;

De même : “Il a rougi les yeux ? Mais avec le cirrus et le glassy. Le cœur m’a serré de près.” (Nous soulignons ; ROSA. GSV, vol. 2, 2009, p. 53). L’auteur évite oco les formes habituelles plus prévisibles, comme “friorenta”, “frienta”, “friolenta” et “frígida”, pour adopter une forme qui fait converger avec le terme “furiosa”. Le terme “vidrento”, régulièrement dictionné, ne désigne pas seulement le “verre”, ce qui aurait pu être obtenu par les adjectifs “vitreux”, “vidrado”, “vidrino” et “vidroso”, mais il signifie "délicat, susceptible, cassant, agastadiço, melindroso”, avec le précieux avantage supplémentaire d’être un métaplasme pour VI DENTRO.

3. ποταμοῖο

Un autre métaplasme fréquent chez Homère est la forme ποταμοῖο, génitif épique à la place de la forme ποταμοῦ. Il nous est venu à l’esprit de marquer dans la traduction l’indice de l’épopée : associer le mot “fleuve” et son adjectif en inventant une prothèse “es” pour correntoso. “rio’scorrendoso” = “la rivière coule/ correntoso”.

4. δινήεντος

Pour retrouver la grandeur épique, nous avons choisi de solenniser l’adjectif δινήεντος, " plein de tourbillons ", et de le traduire par le lexique “orbital”, qui renvoie à l’orbite des étoiles et suggère l’accumulation et la magnitude ou encore la parenté avec les dieux/astres, étant donné que Xanto est un dieu-fleuve.

Chez Rosa, on trouve “al” comme suffixe d’accumulation, d’ailleurs d’usage courant dans la langue : “Vez, deram até tiros : mais rien n’était pas, seulement un boeuf loango, avec beaucoup de faim et peu de sommeil, qui venait seul paître et donnait le visage long, là hors des heures, dans la bonne haie. (nous soulignons. ROSA. GSV, vol. 2, 2009, p. 161)

Voir aussi : “Ainsi, avec João Goanhá comme chef, nous sommes sortis, environ cinquante d’entre nous, pour attraper une troupe de cargaisons de bebelos, qui sont venus à l’insouciance, la nuit, dans Bento-Pedro - un endroit dans un bras de marais, rizière.” (Nous soulignons ; ROSA. GSV, vol. 2, 2009, p. 156) ou : “Nous nous sommes assis, finalement, dans un endroit plus proéminent, avec des pierres, entouré de bamburral rugueux”. (Nous soulignons ; ROSA. GSV, vol. 2, 2009, p. 71)

5. τέκετο

C’est un aoriste passif avec aphérèse de l’augmentation. La voix passive est plus fréquente par rapport au père, la voix active par rapport à la mère (cf. SIDGWICK, 1880, p. 39). Dans la traduction, nous utilisons un verbe associé à la force masculine de fécondation, “éjaculer”, avec l’aphérèse de “et”.

Comme exemple de Rosa : “Disparo que eu dava, era catando mover alheio, dont l’insouciance, as malandro malandreia. Et cent cinquante brasses, c’était l’eito, ma jaculation”. (Nous soulignons ; ROSA. GSV, vol. 2, 2009, p. 139)

6. διατμήξας

Forme dérivée de la racine τεμ-/τμε avec un suffixe guttural présent (γ) τμηγ- (la formation de l’attique est τέμνω). Nous utilisons l’archaïsme “desmear” et ajoutons à l’intérieur du mot un “i” (épenthèse).

De la même façon, avec une parenthèse ép, Rosa utilise le verbe “malandrar” comme “malandreiar” : “Disparo que eu dava, era catando mover alheio, cujo caruidido, como malandro malandreia.” (Nous soulignons ; ROSA. GSV, vol. 2, 2009, p. 139)

7. πεδίονδε

Paragoge du suffixe épique -δε pour exprimer le mouvement. Notre choix s’est porté sur l’utilisation de l’adverbe “au-delà”.

8. φοβέοντο

C’est l’imparfait moyen avec aphérèse de l’augmentation et de l’élargissement de la contraction attique de l’ἐ-φοβοῦντο. La traduction par le verbe “s’abstenir”, “se garder, prendre garde”, avec aphérèse du “a”et métaplasme du “b” par le “v”, visait à produire un effet similaire à celui utilisé en grec. Le verbe semblait également approprié parce qu’il est pronominal et permet, par analogie, d’obtenir un sens de la voix moyenne.

Chez Rosa, on trouve un effet du même type dans “Manuelzão, a gente não puderam virirem antes, este seo Vevelho da testemunha : um boiadão que chega e esbarrara, pra atravessar o rio, três mil e seisentas cabeças, boiadama dismensa, cortada em doze golpes, três mil e seisentas reses, pra jogar n’água, na barra do Abaeté”. (Nous soulignons ; ROSA. Uma estória de amor, vol. 1, 2009, p. 371)

De même : “- Il y a un grand troupeau là-bas. Et le rassemblement du bétail y est difficile... - En étant ‘brabeza’, ça n’en vaut pas la peine. Ce que je peux payer est moins. Mais la veuve d’Antônio Mendes n’a-t-elle pas des bœufs ? ” (Nous soulignons ; ROSA. Uma estória de amor, vol. 1, 2009, p. 406)

9. μαίνετο

Verbe important, il a une racine commune avec le mot d’ouverture du poème, μῆνις. μαίνετο est un aoriste de la voix moyenne avec aphérèse d’augmentation. Nous avons opté pour le pronominal “amalucar-se” (qui simule une voix moyenne) auquel nous avons imposé une aphérèse : “malucar-se”.

Le génie de Guimarães Rosa a concilié l’épenthèse du verbe et l’expression idiomatique “a attrapé le” dans : “Ali esse Treciziano era fraco de paciências ; ou será que estivesse curtindo mais sede do que os outros - segundo esse tremor das ventas - e pegou a malucar ?” (Nous soulignons ; ROSA. GSV, vol. 2, 2009, p. 332)

10. φαίδιμος

Adjectif qui, selon Liddell-Scott, chez les tragiques, n’est appliqué que dans les phrases épiques. Nous avons recours à un archaïsme pour le traduire, “galarim ” = à l’apogée.

Conclusion

Nous espérons qu’avec la présentation des possibilités de traduction à travers ces fantaisies métaplasmatiques, le lecteur trouvera raisonnable d’affirmer qu’“un coq seul ne tisse pas un matin37”, ou, mieux, qu’une seule forme de discours n’est pas l’expression d’une nation. Nous affirmons que Guimarães Rosa comme Homère – si nous pouvons assumer son individualité, ce que nous avons fait, à des fins de référence pratique – ont composé leurs œuvres dans une langue artificielle, sophistiquée, écrite et peut-être jamais parlée, mimée comme orale avec une plénitude de variantes linguistiques. Une langue rythmée et encyclopédique, avec toute la puissance lexicale et syntaxique d’un peuple mêlé. Dans ce contexte, utiliser les fantaisies métaplasmatiques pour traduire Homère, c’est reconnaître un précieux procédé pratiqué par l’écrivain de Minas Gerais, qui nous a servi de modèle pour la traduction. Il vaut la peine de rappeler ce que Monro affirme, à propos du rhapsode :

Cette multiplicité de formes grammaticales ne peut s’expliquer que par la considération que la langue de la poésie épique était plus qu’un dialecte : c’était un style hautement cultivé et, par conséquent, d’une certaine manière, un style conventionnel, dans lequel les formes les plus anciennes étaient conservées par la force de la tradition poétique.38

Pratiquant le même style, Rosa, en imitant le barde, nous a appris à lire, écouter et traduire Homère du grec en portugais.


1 Article paru sous le titre “Uma nação se faz com literatura” par Tereza Virgínia Ribeiro Barbosa, dans : Revista Épicas, Année 4, n° 7, Juin 2020, p. 1-16. ISSN 2527-080-X 4, http://dx.doi.org/10.47044/2527-080X.2020v4 (article : http://dx.doi.org/10.47044/2527-080X.2020v7.3753).

2 Selon Luiz Costa Lima, Oto Marquard (1989) est à l’origine de l’expression “territoire esthétique lorsque, traitant des changements survenus à la Renaissance, il évoque l’émigration des “bonnes œuvres du domaine religieux vers le domaine profane. Marquard affirme qu’en raison de la Réforme, "les bonnes œuvres ont dû émigrer du territoire religieux vers le territoire esthétique nouvellement créé, afin qu’elles puissent conserver leur pertinence sotériologique. (Marquard apud Costa Lima, 2008, p. 208). En utilisant cette expression, nous suggérons que la littérature a le pouvoir de créer des “territoires esthétiques nationaux qui, réunis par le système littéraire, forgent (façonnent, fabriquent et inventent) l’identité d’un pays.

3 [N.d.É. L’auteure fait allusion ici aux deux auteurs du tournant des XIX-XXe siècles. Elle développe ce point infra]

4 Il s’agit d’une pratique de traduction que nous développons et théorisons qui consiste à traduire Homère en tenant compte des variations linguistiques proposées dans son texte. Le terme “fantaisie est utilisé parce que nous faisons des conjectures analogiques dans la traduction. Fantaisie est un terme issu de la musique et métaplasmatique est un adjectif dérivé du terme métaplasme, synonyme ici de variation linguistique et de changements dans la structure du vocabulaire. À propos de la fantasia, dans le Grove Dictionary (traduction de E. F. Alves), on peut lire : “Pièce instrumentale dans laquelle l’imagination du compositeur prend le pas sur les styles et les formes conventionnels. (...) Les compositeurs du XXe siècle ont également utilisé le terme pour des pièces instrumentales étendues (...) et pour des variations (...). (Grove, 1994, p. 311) ; Mário de Andrade n’enregistre pas le terme “fantasia dans son Dicionário Musical Brasileiro, il préfère parler de “variation, qui “consiste à répéter une mélodie donnée, en changeant, à chaque répétition, un ou plusieurs éléments constitutifs de celle-ci, de sorte que présentant une physionomie nouvelle, elle reste toujours reconnaissable dans sa personnalité. Ce n’est même qu’au XVIIIe siècle que la variation se présente fermement fixée dans ce principe de changement de physionomie et de conservation de la personnalité. En général, les musiciens des siècles précédents se limitaient à la variation, enrichissant la mélodie avec des embellissements, au lieu de modifier la forme d’un de ses éléments (rythme, tonalité, harmonisation, arabesque). (Andrade, 1999, p. 550).

5 Nous entendons ici le rythme au sens d’Henri Meschonnic.

6 Historien du cinquième siècle avant J.-C., Hérodote témoigne de la conscience de cette réalité du langage chez les Grecs. À ce sujet, voir Maria de Fátima Sousa e Silva (2009, p. 62) : “Hérodote reconnaît dans la langue un facteur politique déterminant […] La période classique accentue également les différences dialectales qui caractérisent le particularisme linguistique de certaines communautés. En définissant le monde ionien comme un échiquier ethnique, politique et religieux, Hérodote distingue la langue comme un puissant facteur d’établissement des différences. Il met […] en évidence quatre variantes dialectales en Ionie [...] en faisant des regroupements ou des types [...], qui se fondent sur un critère géographique : Miletus, Miunte et Priène, tous situés en Cary, ‘parlent de la même manière’, c’est-à-dire ‘utilisent le même dialecte’ [...] ; enfin, les îles de Samos et Chios, et l’Erythrée, sur le continent, se répartissent comme suit : Chios et Érythrée, situées en face l’une de l’autre, parlent le même dialecte [...], et Samos ‘un qui lui est propre’ [...].

7 “The most striking characteristic, and the main difficulty, of the Epic dialect is the variety of forms which it employs, a variety greater than we can suppose possible in any single spoken language." (MONRO, 1828, p. 52)

8 “The language of the poems, as has been remarked, is an artificial amalgam of words, constructions and dialect-forms from different regions and different stages in the development of Greek from the late Bronze Age until around 700 B.C.” (KIRK,1985, p. 5)

9 “Die Aufgabe des Übersetzers”, Benjamin, Walter, Préface à Charles Baudelaire, Tableaux Parisiens. Deutsche Übertragung mit einem Vorwort über die Aufgabe des Übersetzers, édition bilingue français-allemand, Heidelberg, Verlag von Richard Weißbach, 1923.

10 Pour exemples : καρδίη (Iliade 14, 152) et κραδίη10 (Iliade, 3, 61), ἐθέλω (Iliade 18, 262) et θέλω11 (Iliade 1, 554) pour le grec et “ínterim et “intrim (ROSA, 2009, vol. 2, p. 42) 12, “choupã et “choupana (ROSA, 2009, vol. 2, p. 42) pour le brésilien.

11 Em que língua falam as escravas ? Nota-se que não aparecem representados os diferentes níveis sociolinguísticos que estariam presentes na situação real. O narrador e as escravas falam a mesma variedade do português. Apesar de, com outros autores românticos, incorporar alguma sugestão de oralidade (...) Bernardo Guimarães apresenta em A escrava Isaura, uma visão utópica e altamente idealizada do cenário e personagens. Os escravos falam um português culto-literário, indicando, talvez, a atitude do autor, o chamado “the new country syndrome ou uma forma de compensação pela pobreza material e o atraso cultural do país” (WARD, 1984, p. 25).

12 [N.d.É. Le terme a ici presque le sens de “pittoresque”]

13 Embora esta passagem reproduza também a voz do narrador e de escravos no interior do Brasil, os escravos de Coelho Neto falam numa língua “realista-naturalista” com a representação literal do discurso que se desvia da norma e é considerado “inferior”. Há reprodução de formas populares antigas como ansim, interjeições como uai, representações ortográficas de variações fonética, reduções de tipo guënta por aguenta, transposições (drumi por dormir), elipse do artigo (“Dia não chega”), todas formas muito comuns na língua oral do interior, algumas representadas no discurso escrito pela primeira vez. Ora, na ansiedade de documentar ou de dar autenticidade linguística, Coelho Neto exagera o fenômeno, assinalando como dialetais várias pronúncias comuns na fala de pessoas “educadas”. (...) Nota-se também que se a fala da escrava é quase incompreensível, a língua do narrador, cheia de palavras difíceis, tão característica da prosa de Coelho Neto, não pode ser mais facilmente compreendida. A dissociação da fala do narrador da fala dos personagens contribui para realçar a fala do personagem e sugerir que o dialeto representado se distancia mais do português padrão do que realmente o é, reforçando assim o estereótipo comum nas literaturas regionalistas. (WARD, 1984, p. 26)

14 [Dans l’original :] “peixe vivo no moquém : quem mói no asp’ro, não fantasêia.’ / Grelha de varas para assar ou secar carne ou peixe. // Bras., do tupi.” “L’expression peixe vivo no moquém signifie de façon figurée les “problèmes, dfficultés, tribulations”, MARTINS, 2001, p. 339.

15 [N.d.É. Régionalisme, qui désigne des gens venant de la campagne, simples, timides, peu ou pas éduqués, avec des attitudes grossières (altération de quadrúmano). Synonyme de caipira].

16 “Um deles sobressai pela fala : “Dou de comer à mea mul’é e trêis fi’ó, em debaixo de meu sapé. (...)” O acúmulo em uma sentença de elementos que se desviam do português padrão cria o contraste necessário para destacar o discurso catrumano (...). (...) Como o discurso dos demais personagens, inclusive do narrador, utiliza alguns dos mesmos elementos, se bem que de forma mais esparsa, faz-se necessário exagerar sua representação para criar o contraste linguístico e daí social, entre os dois grupos representados.” (WARD, 1984, pág. 31).

17 “He is portrayed as a man of low social standing. He has no patronym and no place of origin. Thersites is, literally, the man from nowhere ; The fact that he addresses the assembly without holding the ritual speaker’s scepter casts doubt on the legitimacy of his intervention.”

18 “Thersites is quite literally ‘without meter’ in his performance, markedly more so than the average hero.”

19 Correption (HALPORN, OSTWALD, ROSENMEYER, 1963, pág. 12) : “In epic hexameters, hiatus between words is more common than in other meters. Where hiatus occurs, a long final vowel or diphthong is often shortened metrically. This is called epic correption.” In epic, elegy, and some lyric a final long vowel or diphthong is usually shortened when the next word begins with a vowel (again, unless there is period-end). For exemple : ἄνδρα μοĬ ἔννεπε Μοῦσα. (WEST, 1987, p. 14)

20 “If performed aloud, the speech strikes us as containing massive correption[...]. In addition, synizesis (the combining of normally separate vowel sounds to produce one) produces the same auditory effect : Thersites slurs his words.”

21 Cette partie n’a d’autre ambition que de donner à voir – de façon forcément bien fruste – la tentative si originale de T. V. Barbosa. Pour les autres extraits (en portugais), comme pour l’original des remarques, nous renvoyons à l’article disponible en pdf sur https://www.revistaepicas.com/edicoes-anteriores, volume 4 http://dx.doi.org/10.47044/2527-080X.2020v7.3753.

22 Traduction de Jean-Baptiste Dugas-Montbel (1815-1818), Iliade, II, v. 224-232,

23 T. Barbosa utilise ici un régionalisme, entourar.

24 Dans le texte de T. Barbosa, outra, autre”, est orthographié o’tra.

25 Le verbe du texte source, χατίζω, signifie désirer vivement”. La locution verbale de T. Barbosa, instar contra, signifie manifester sa désapprobation” mais le sens premier du verbe instar est demander vivement”.

26 Nous traduisons ici l’expression o mais ó” qui semble être un hapax.

27 Troens = Troyens. T. Barbosa emploie troas à la place de Troianos.

28 En annexe, on trouvera les notes philologiques de T. Virgínia Barbosa justifiant sa traduction de ce passage et s’appuyant sur l’écriture de Guimarães Rosa.

29 Les termes en gras sont ceux qui font l’objet des notes philologiques en annexe.

30 http://iliadeodyssee.texte.free.fr/aatexte/dugasmontbel/iliaddugjuxt/iliaddugjuxt21/iliadjuxt21.htm

31 Avenirent : néologisme fondé sur l’ancien français avenue”, action d’arriver”. Il traduit l’emploi de l’archaïsme arribar. Nous perdons en revanche le gallicisme par métaplasme de T. Barbosa : arrivaram.

32 S’écourant : formé de s’écoulant” et courant”, pour traduire le néologisme escorredoso formé à partir du verbe escorrer, s’écouler.

33 Jacula : éjacula .

34 Scillés : sciés.

35 P’r où : par où.

36 Le nom galarim, climax”, est employé comme épithète homérique d’Hector.

37 Vers de João Cabral de Melo Neto (2008, pág. 319) em “Tecendo a manhã”.

38 This multiplicity of grammatical forms can only be explained by the consideration that the language of Epic poetry was more than a dialect : it was a highly cultivated and consequently in some degree a conventional style, in which older forms were preserved by the force of poetical tradition.” (MONRO, 1828, p. 53)

Pour citer ce document

Tereza Virgínia Ribeiro Barbosa, «Une nation se fait avec de la littérature», Le Recueil Ouvert [En ligne], mis à jour le : 09/11/2023, URL : http://epopee.elan-numerique.fr/volume_2020_article_361-une-nation-se-fait-avec-de-la-litterature.html

Quelques mots à propos de :  Tereza Virgínia  Ribeiro Barbosa

Tereza Virgínia Ribeiro Barbosa est Professeure à l’Université Fédérale de Minas Gerais, UFMG. Docteure de l’Universidade Estadual Paulista, Unesp/Araraquara, Brésil, elle est chercheuse au Conselho Nacional de Desenvolvimento Científico e Tecnológico (CNPq) e da Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de Minas Gerais (Fapemig). Parmi ses publications récentes : Feita no Brasil : a sabedoria vulgar da tragédia ática para o povo tupiniquim catrumano. Belo Horizonte : Relicário, 2018 ; en collaboration avec SILVA, M. F. S. ; OLIVEIRA, F. de. Violência e transgressão : uma trajetória da Humanidade. Coimbra : Imprensa da Universidade de Coimbra, 2014 et une version pour la jeunesse, en BD, de l’Iliade et Odyssée.